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Violence et politique, les deux côtés d’une même pièce ?







25 Avril 2022

La violence est-elle intrinsèque à la politique ? Le responsable socialiste Boris Faure en a fait les frais lorsqu’en plein après-midi un autre député le frappe à coups de casque. A la suite de cette agression, l’ancien dirigeant de la Fédération des Français de l’étranger du Parti Socialiste décide de lever le voile sur la violence en politique. Il rédige alors « Coups de casque, Essai sur la violence en politique » (VA Éditions) qui porte une réflexion sur la violence physique, verbale, sexiste ou encore communautariste.


Les Français attendent-ils une parfaite exemplarité de la part de leurs élus ?

Les enquêtes d’opinion en témoignent clairement : La probité, l’honnêteté et l’incarnation d’une exemplarité de comportement font partie des attentes fortes des Français. Pour autant nous sommes un pays latin et de tradition catholique où l’expiation de ses fautes, mais aussi le rachat et le pardon font partie de nos valeurs foncières. Il y a donc un paradoxe français de mon point de vue : La recherche d’une exemplarité forte au niveau de la classe politique, mais contrebalancée par une relative mansuétude face à des fautes avérées.  La sanction collective de l’inexemplarité, des écarts de conduite vis-à-vis de la loi ou même des fautes morales y est moindre que dans d’autres pays d’Europe du Nord ou anglo-saxons où on débarque un ministre s’il est reconnu avoir entretenu une relation avec une maîtresse sur le temps consacré à son mandat, ou on démissionne plus rapidement de ses fonctions en cas de simple mise en examen. En France on ferme les yeux et on oublie : Nombreux ont été les Français à s’émouvoir des démêlés judiciaires des époux Balkany, Nicolas Sarkozy garde une cote de popularité importante malgré les affaires qui le cernent, et le journal Médiapart dénombrait 31 affaires touchant des membres du gouvernement ou des élus de la majorité LREM sans que cela nuise réellement au parti du président. Chacun rêve d’une République exemplaire, elle a d’ailleurs été promise en 2017 par Emmanuel Macron, promesse rituelle d’ailleurs de chaque candidat à la présidentielle, mais elle reste un idéal à atteindre plus qu’une réalité.

La violence verbale est-elle assez réprimandée au cœur même de la politique ?

La politique est dans son essence belliqueuse. Dans une démocratie elle est basée sur de la confrontation d’idées et de projets et la résolution de la concurrence électorale par le débat et par le vote. Mais on est loin aujourd’hui de la démocratie de Périclès que les historiens dépeignaient comme un homme pleinement maître de lui, aux mots justes et forts, et qui a gouverné Athènes à son siècle d’or.  En 2022, la violence verbale est très forte dans le champ politique. Injures, quolibets, culture du clash sur Twitter ou petites phrases ironiques et perfides sur les chaines d’information… J’ai le sentiment qu’une forme de violence assumée constitue le fond de commerce de certains politiques et le bon moyen de faire parler d’eux dans les médias. Et donc en effet, on s’est tellement habitué à cette violence qu’on oublie de la sanctionner. Les procès en diffamation mettent des années à aboutir, et au sein de l’Assemblée nationale le nombre de sanctions de propos violents reste relativement stable. On est dans une forme d’impunité relative. Mais je ne veux pas paraitre trop sévère : Les politiques sont en réalité sous tension, s’ils sont violents c’est aussi qu’ils disjonctent : Les attentes vis-à-vis d’eux n’ont jamais été aussi fortes que dans une époque de stress et d’anxiété collective. Ils sont nommés comme la solution et le problème de tous les maux de notre époque, ce sont des boucs émissaires tout désignés. Ils sont aussi sous pression, car placés dans une bulle de verre qui les oblige, au nom de la transparence, à rendre compte en permanence de ce qu’ils font, mais aussi de ce qu’ils sont. On les suit sur les réseaux sociaux, on a mille manières de les interpeller numériquement et quand cela ne suffit pas on débarque à leur permanence pour une franche engueulade qui peut dégénérer comme on l’a vu avec le mouvement des Antivax ou des Gilets jaunes. Le statut des élus ne les protège plus. Ils sont désacralisés. On a jamais eu autant d’agressions et d’incivilités vis-à-vis des élus qu’aujourd’hui. Mais la violence n’est pas qu’exogène. La classe politique génère sa propre violence politique interne : Quand Emmanuel Macron promet d’incarner le Nouveau Monde, il provoque un changement d’ère et symboliquement décrète la mort des anciens partis de gouvernement. C’est d’une grande violence pour un parti comme le PS qui, dans sa forme initiale, la SFIO, est né il y a plus d’un siècle et est sur le point de disparaitre. Schumpeter parlait des « destructions créatrices » à la base du capitalisme. En politique il y a des destructions et des recompositions permanentes qui s’opèrent violemment par des moyens non violents.

La politique n’a pas toujours une bonne image, la violence que nous constatons exacerbe-t-elle cette réputation ?

La mauvaise image de la politique tient surtout à l’écart, réel ou supposé, entre les promesses électorales et leur non-accomplissement. Il faut cependant dire que dans un système présidentiel comme le nôtre et dans une Nation qui a toujours fait de l’État le cœur de son identité, les citoyens ont des attentes énormes et excessives vis-à-vis de la politique. C’est un peu comme si chaque français attendait des politiques qu’il le rende heureux et pas seulement qu’il améliore ses conditions de vie. La violence interne à la classe politique n’arrange rien dans ce contexte, elle peut traduire cette impuissance que les politiques ressentent à changer l’ordre du monde et de la société. Il peut s’agir d’une violence de dépit. Mais elle traduit aussi l’appétence de certains politiques au jeu de massacre que constituent les compétitions internes dans les partis ou les joutes liées aux compétitions électorales. Certains politiques ont le gout du sang et sont des grands fauves. On utilise d’ailleurs l’expression de « tueurs » pour qualifier ces maitres de la politique capables de se hausser aux sommets en éliminant la concurrence. Les Français là encore sont paradoxaux. Ils aiment les stratèges et les sicaires de la politique tout autant qu’ils les détestent.

Sans pour autant la justifier, comprenez-vous les excès de violence du peuple envers la politique et ses représentants ?

J’ai écrit un roman qui parle de l’Acte1 des Gilets jaunes à Paris et qui met en scène la violence de ces derniers (« Balthazar sans gilet jaune »). S’il y a de vastes mouvements collectifs comme celui des Gilets Jaunes c’est d’abord que l’expression d’une colère ou d’un désarroi social n’arrive plus à être portée par les élus pleinement. Avant que le mouvement des Gilets Jaunes ne soit débordé par des éléments radicaux il prenait une forme éminemment politique celle de l’agora des ronds-points, du débat autour des braseros et de la jonction entre des milieux plutôt populaires et une classe moyenne éduquée. Je regrette que ce mouvement n’ait pas su profiter de l’élection des européennes pour se donner une forme de parti plus démocratique et organisé.  Il a sombré dans le « basisme » où toute personne se revendiquant des Gilets Jaunes et désireuse de porter un message politique électoral était disqualifiée automatiquement par la base. Je regrette cette violence interne qui a sapé les tentatives de désignation d’une liste pour les européennes. Ensuite que des personnes surchauffées, portées par la foule, avec des revendications populistes, aillent molester l’élu du quartier ou le député dans sa permanence, cela fait toujours froid dans le dos. Une foule en colère ne fait que rarement dans la nuance.